Les réformes de la Moudawana : Regards Croisés en parallèle avec les Recherches de Menassat


Dans la poursuite de sa stratégie d’ouverture sur la sphère politique, civile et associative, le Centre Menassat pour les Recherches et les Etudes Sociales a organisé un séminaire autour des : « Femmes, Espace Public et Code de la Famille : à la lumière des résultats des recherches de terrain de Menassat ». L’activité s'est tenue le samedi 2 mars à l'hôtel Ibis Mohammedia, avec la présence effective de la députée et vice-adjointe de la Commission de Justice et Législation Mme Loubna Sghiri, le conseiller auprès du Ministère de la Justice et chercheur en pensée islamique M. Mohammed Abdelouahab Rafiqi, et la lauréate de la 2ème version du programme JIL Mohammed Sabila Zineb Makboul. Etaient aussi présents, l’enseignant chercheur et membre principal de Menassat Abderrahmane Zakriti, ainsi que Aziz Mechouat le directeur du même centre qui a en l’occurrence, modéré la rencontre.

 

Abderrahmane Zakriti : La souveraineté du corps féminin entre la dialectique des censures de la collectivité et les libertés individuelles

  Tout en présentant les résultats préliminaires de la recherche quantitative nationale réalisée par le Centre Menassat « Femmes, Espace Public et libertés individuelles, Zakriti a souligné que le corps féminin est soumis à la censure de la collectivité dans l’espace public, malgré le fait que les défenseurs de la souveraineté corporelle totale ou partielle dans la recherche, représentent 78% des participants à l’enquête. Il a souligné que malgré les avancées concrétisées en termes de libertés, tout dépassement des normes collectives demeure passible aux représailles. Toujours en liaison avec les femmes, 50% de l'échantillon ont estimé que l’embellissement féminin dans l’espace publique, était une liberté individuelle, tandis que 16% voient cela comme étant une forme d'ouverture. Concernant les raisons du port du voile pour les femmes, 62% des personnes interrogées ont répondu que cela répondait aux préceptes religieux, contre un taux de 3,6% de ceux et celles qui le réfutent.

Au terme de son intervention, Zakriti estime qu’étant donné que la société marocaine évolue sous l’égide des normes et règles de la collectivité, combien même il serait important de maintenir les liens familiaux et le lien social. Le maintien de ces liens est une nécessité à prendre en considération dans les réformes de la « Moudawana » insiste Zakriti, car ils sont les seuls garants contre les dislocations familiales, et les garants des droits de la citoyenneté. 

 

Zineb Makboul : Les effets de l'exception législative sur les libertés individuelles au Maroc (cas du mariage des mineurs)

Dans son intervention, la lauréate du programme JIL Mohammedd Sabila, Zineb Makboul a présenté le Policy Papers qui traitait de la question du mariage des mineurs et de la perpétuation des pratiques discriminatoires basées sur le genre. Makboul a mis en lumière l'amplification de ce phénomène à travers des chiffres et des données qui confirment que l'exception accordée par l'article 20 du Code de la famille, porte préjudice à double impact, individuel et collectif, que ce soit sur le plan social ou socio-économique

Les chiffres et les données montrent clairement que le mariage des mineurs a connu une croissance considérable depuis l'adoption du Code de la famille en 2004, pour atteindre son apogée en 2011, enregistrant au total 39.031 actes de mariage liés à un mineur, soit 11,99% du total des actes de mariage conclus la même année.

Si l'exception accordée par l'article 20 du Code de la famille constitue une cause majeure de la propagation du phénomène du mariage des mineurs, d'autres textes juridiques du même Code abordent cette question, tel que l’article 16 du Code de la famille qui stipule que « l’acte de mariage est considéré comme le moyen acceptable pour prouver le mariage, si des raisons impérieuses empêchent que le contrat soit authentifié à temps ».

Les préjudices sociaux et socioéconomiques de cet article sont devenus assez palpables et mesurables, qu’il serait temps de l’abroger du Code de la famille propose Makboul. Il serait aussi important, recommande-t-elle, de ratifier le reste des articles relatifs au phénomène du mariage de mineurs, tout en prenant en considération l’intérêt suprême de l’enfant qui demeure le maillon faible du chaînon conclue-t-elle.

 

Loubna Sghiri : Les réformes de la Moudawana : défis, contradictions et perspectives d'évolution

Pour sa part, la vice-adjointe de la Commission Justice et Législation du Parlement marocain, Mme Loubna Sghiri, a pointé du doigt les nombreux défis auxquels est confronté le code de la famille au Maroc. A cette issue, elle a abordé les différents aspects des contradictions et des lacunes dont souffre ce Code, insistant sur le degré des écarts entre la forme législative de ce Code et son application dans la réalité. Dans le même contexte, Sghiri insiste sur la nécessité de prendre en compte toutes les exigences soi-disant « irréalistes » pour sortir de ces contradictions de manière objective et rationnelle, mais qui prennent impérativement en compte les intérêts des femmes. Sous cette optique, estime-t-elle, il serait temps de dépasser les connotations conceptuelles liées à la notion de « femme » qui entravent les réformes familiales requises à l’état actuel.

Ceci dit et malgré toutes les contradictions, les lacunes et les défis auxquels ce Code est confronté, « on nourrit l’espoir que le prochain Code de la famille rendra justice non seulement aux femmes mais aussi à toute la famille » conclue Loubna Sghiri.

 

Mohammed Abdelouahab Rafiqi : La nécessité de la diligence religieuse (Al Ijtihad) face aux défis de la réforme du Code de la Moudawana

À la lumière de l'évolution observée au niveau de la réalité sociale et démographique, de l'émergence de formes familiales autres que la famille nucléaire et de la tendance de la société à l'individualisme en plus de la scolarisation et le travail des femmes, les réformes doivent concourir à la réalité. Ceci dit les questions liées au volet religieux constituent un réel défi pour les réformes, car considérées comme force résistante aux amendements.

C’est dans ce sens que Rafiqi a insisté sur la nécessité d'avoir une diligence religieuse dans la jurisprudence des calamités « FIKH ANNAWAZIL » sensible aux changements et au développement de la société. Le débat qui s’impose à l’état actuel, estime Rafiqi est « Khabar al Ahad » qui représente le plus grand obstacle aux amendements de la « Moudawana ».  Ce dernier dont la fiabilité est jugée très faible, peut parfois contredire le Coran, tout en empêchant l'Ijtihad en matière juridique. A savoir que « Khabar al Ahad » a bel et bien été, la base sur laquelle sont construites de nombreuses règles et lois régissant autant de questions religieuses et sociales à la fois. Qu’'il s'agisse de la question de l'héritage de parents de religions différentes, ou du testament, ou du mariage d'une femme à un non-musulman, ou de la question d’attribution de la filiation à des enfants non reconnus, khabar al Ahad demeure une référence qui entrave la concrétisation des avancées.

L'Ijtihad dans la jurisprudence religieuse, selon Rafiqi, doit concourir avec les dynamiques et les transformations de la société selon des règles et des normes spécifiques qui imposent au juriste lui-même, ou à l'homme politique... d'être susceptible au changement.