
En partenariat avec le Centre WAAI, le Centre Menassat pour les Recherches
et les Etudes Sociales a organisé une table ronde le 17 Décembre 2021.
L’activité a porté sur des réflexions et des lectures croisées autour de la
recherche menée par Menassat sur « Les Libertés Individuelles : Représentations
et Perceptions ».
La rencontre a eu lieu dans les
locaux de Menassat en présence de MBAREK AFEKOUH, membre du Comité Régional des
Droits Humains de la région CASA-SETTAT, MOHAMED ABDELOUAHAB RAFIQI,
islamologue et AZIZ MECHOUAT, sociologue et directeur de Menassat. La table ronde a été animée par la doctorante
en Sociologie FATIMA IKA
AFEKOUH : Les Libertés Individuelles au cœur des Droits Humains
En lecture pour les résultats du rapport sur les libertés individuelles, AFEKOUH s’est dit positif par rapport aux taux annoncés. Par contre, il considère que l’indice de conscience des marocains a connu une recrudescence au vu de leur ignorance des articles de loi 490/220/222.
Il estime également que les différents taux montrent un changement des valeurs chez les marocains, surtout par rapport à ce qui se rattache à la liberté du corps. Dans ce sens les marocains se disent libres de disposer de leur corps qui est « une propriété individuelle » et ce avec un taux de 78.2%.
A cette issue AFEKOUH a dit que pendant longtemps le Maroc a été une scène de conflits autour des libertés individuelles. Il estime que « si le droit à la liberté individuelle est accordé par les institutions, comment pourrait-on refuser la liberté de disposer de son corps ? ».
AFEKOUH estime qu’aujourd’hui les marocains vivent « une entorse sociale », dans le sens où ils vivent une situation triangulaire. D’une part, ils vivent dans la peur de la pénalisation de la loi, d’autre part de l’interdit de la religion, et par ailleurs dans l’ouverture de l’esprit. Cependant il reste positif par rapport aux avancées réalisées par le Maroc, en matière de droits humains, surtout avec la création du Comité National des Droits Humains.
Par ailleurs, AFEKOUH avoue que les institutions peinent à valider le volet se rattachant aux relations sexuelles consensuelles. Il explique que les décideurs avancent comme alibi, « le système des valeurs religieuses de la société marocaine », surtout que ce type de relation est considéré comme étant une atteinte à la pudeur et aux vertus. Plus encore, il relève de l’interdit.
Pour conclure, AFEKOUH pense « qu’il faut écouter le discours du citoyen qui n’a aucune orientation politique pour savoir ce qu’il désire réellement ». Ceci dit et étant un membre du Comité Régional des Droits des Humains, ayant des partenariats avec les Académies de la région de Casa-Settat, il avoue que « les jeunes sont étouffés », et il serait temps d’appliquer leurs doléances liées aux libertés individuelles, mais aussi d’abroger l’article qui pénalise les relations sexuelles consensuelles.
RAFIQI : Une culture religieuse qui traverse les libertés individuelles
A travers un regard religieux, RAFIQI fait état de la forte présence de la religion dans toutes les questions se rattachant aux libertés individuelles. En effet, la religion se situe de façon transversale dans toutes les réponses liées aux libertés individuelles.
De même, lorsque les marocains confirment que la religion serait la solution pour une société meilleure avec un taux de 73.5%, c’est que selon RAFIQI, « Ces derniers ignorent les détails qui contournent cette religion ». Dans le sens ou certains préceptes seraient impossibles à appliquer à l’état actuel. A ce titre il évoque le verset coranique qui indique la punition réservée au voleur. « La religion condamne le voleur à être amputé d’une main et un pied, est ce qu’on peut concevoir pareil acte aujourd’hui? Cela relèverait d’une violation outrageuse des droits de l’Homme » déclare RAFIQI.
Dans le même sens, il évoque le grand paradoxe vécu par les marocains dans leur regard à la religion. Car, d’un côté ils sont prêts à cohabiter avec des personnes aux croyances différentes, mais en même temps ils refusent catégoriquement qu’un musulman se convertisse en une autre religion. Il estime que les marocains ont une liaison parsemée de paradoxe avec leur religion, ils l’adoptent comme référence à toutes les pratiques, elle est présente dans tous les détails du quotidien, mais ils refusent, ou ignorent tout ce qu’elle suppose comme impositions.
Un autre phénomène a été pointé du doigt par RAFIQI, et c’est la question du « Je m’en foutisme », une catégorie de personnes qui marquent une montée en force dans les différentes réponses de la recherche. Il explique que cela est dû à l’adoption des jeunes des nouvelles valeurs de modernité.
Pour conclure Rafiqi déclare que les textes de loi ne sont en aucun cas liés à la religion, ce qui signifie que ce qui dérive du religieux ne doit pas être puni par des articles de loi.
MECHOUAT : Les Libertés individuelles au cœur du changement social
« Si seulement il y’avait une étude longitudinale qui s’étalerait sur des années sur les Libertés Individuelles et où on poserait les mêmes questions, afin de connaître les représentations et perceptions des marocains à travers le temps pour mieux déceler les transformations opérées ». C’est ainsi que AZIZ.MECHOUAT avait commencé son intervention, estimant que le Maroc a connu plusieurs dynamiques qui ont changé de fond en comble plusieurs aspects de la vie quotidienne des marocains.
En effet, le travail de la femme, le changement démographique, l’évolution de l’espérance de vie, le développement de la santé, la croissance des taux d’alphabétisation, et la composition de la famille nucléaire, sont tous des indices qui ont contribué aux dynamiques de changement social dans la société marocaine.
MECHOUAT estime que le changement social peut être analysé en termes de récurrence, de profondeur et d’orientation et qu’il peut être situé en trois temps selon la vision de Brodell : le temps des acteurs (politique), le temps social et le temps géographique statique. Le changement social a automatiquement des incidences sur les Libertés individuelles.
Dans un sens on se retrouve face à une société traditionaliste, mais avec un canevas moderne. Il y a un réel déséquilibre entre les pratiques et les perceptions, surtout si on parle en terme de religion qui demeure une chose très importante pour les marocains.
Il est vrai, pense MECHOUAT que la société marocaine a opéré un changement brusque, ce changement a eu des incidences sur les valeurs des marocains certes, et il a eu des incidences sur leur perceptions aux Libertés Individuelles. Il est aussi vrai que ces représentations sont en phase de mutations, cependant cela exigerait une intervention, et une contribution des acteurs politiques, des responsables et des différents intervenants institutionnels, afin d’instaurer les valeurs des libertés individuelles et celles des droits humains, et ce en adéquation avec les besoins et la volonté des citoyens marocains.
La table ronde a également été l’objet d’autres interventions des personnes, sous forme d’interrogations et questionnements sur les différentes lectures qui ont été proposées. Des discussions et débats qui ont conclu sur l’idée, que les marocains ont opéré des changements considérables dans leur vision et représentations sur les Libertés Individuelles. Les marocains sont susceptibles au changement social, cependant l’implication des institutions étatiques, des représentants du pouvoir et des responsables politiques devient une urgence.
Pour rappel, l’étude « Les Libertés Individuelles, Représentations et Perceptions a été effectuée par Menassat dans le cadre de la première version JIL en Juillet /Août 2021. Elle a été menée sur un échantillon représentatif de 1312 d’interviewés, divisés en part égale hommes/femmes.